dimanche 24 novembre 2013

Du luxe de la poitrine



 
          Pendant que les légumes mijotaient dans la cocotte, le petit dans son bain, j'ai essayé de t'appeler. Deux ou trois fois, dix. Cette colère, ou cette honte, les deux, envers nous, se retourne en toi, contre, tout contre froidement tenue. Ce n'est pas comme la dernière fois. Tu ne veux pas parler, en parler, je l'ai bien entendu dans ton silence. Tu ne veux pas parler, tu as sans doute tes raisons. Aller au bout. En est-ce une ? Les légumes, c'est pour la soupe. Pour le repas du soir, avec du pain du jour. Elle est luxe, j'ai doré un morceau de poitrine avec les oignons. Pour la suite, ce sont les restes de légumes. J'ai ôté toutes ces parties gâtées, patiemment, au couteau d'office. Les prémices de décomposition sur le quart de potiron, les feuilles extérieures et séchées des poireaux, les étoiles bleutées sur les strates du chou, les yeux verts des carottes qui ne regardent nulle part. Que ne pourrions-nous faire de même avec nos propres parties gâtées. Ôter ce qui merde en nous, les parts putréfiées qui nous pourrissent de l'intérieur. Celles en ton cœur, celles en mon crâne. Dans une dissection appliquée au grand couteau d'office tourné et retourné en nos propres mains, envers nous, contre, tout contre froidement tenue. Tu es sur un nuage. Pas un petit, non, un bon gros nuage, gris. À te griser sous son gonflement qui t'enfonce toujours plus avant. Coincé entre orgueil et peine. A peine une mèche de tes cheveux qui en dépasse, humide, suintante, grasse. Gorgée. De vide, comme toi qui te crois trop plein, qui es trop plein. J'ai essayé de t'appeler demain. Deux ou trois fois, dix. Elle ne répond plus, la chute de tes vieux os. Tes vieux os qui te laissent tomber, et les autres autour. Creux, comme la main qui t'écrit et à laquelle tu ne répondras pas plus qu'à la voix qui l'accompagne si mal. Nos tremblements respectifs. Laissons tomber le trémolo. Dans ce tremblement, lève-la, lève ta putain de main, et décroche.



 

2 commentaires:

  1. Marrant : On fait tout pour creuser des fossés et une fois au fond, on essaie d'inventer des échelles, des ponts... Le plus grand mystère à mes yeux (oui, je suis une nouille dotée d'yeux !!!) c'est cet espoir de communication C'est bon quand on arrive à la fin et qu'on se dit "déjà" !

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  2. d'autres se disent "encore",
    et d'autres creusent sans relever la tête,
    jusqu'à ce qu'on les perde de vue.

    l'homme est un animal social, mais des espèces diffèrent.

    merci Marie.

    Le plus grand mystère pour moi est justement l'inverse, ce qui ne se communique pas. Ces instants offerts à l'homme sans homme, où cela se fait justement sans lui, où certains y voient un mystère, mais où tous se confrontent à l'indicible et à la fragilité.

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