vendredi 18 avril 2014

La marche 1.1



 
La première fois c'était aux caisses d'un Mammouth je n'ai pas compris de suite la sueur dans le dos les huées dans les yeux les entrailles qui coulaient d'entre les cuisses jusqu'aux chevilles collaient aux jambes du pantalon les huées dans tous ces yeux l’écœurement d'un huitième verre d'alcool dans un corps de sept ans. Il fallait partir et vite. J'ai supplié ma mère de retourner à la voiture jusqu'à ce qu'elle cède, laissant mon père régler la subsistance hebdomadaire en m'invectivant. Je crois que tout a commencé lors de cette fin d'après-midi.

Je me demande si cela tient à la génération. X, Y, un truc comme ça, pas de reconnaissance ni vraiment de compréhension pour l'une ou l'autre. Des questions d'époques surtout. J'appartiens surtout à la génération qui a grandi avec « une télécommande à la portée de main ». Les copains voyageaient dans des mondes en 2D sur des super-nes. Une génération zapping, un monde plat, en somme. Cette génération qui quinze ans plus tard ne se définit plus essentiellement par sa profession. Qu'il a du mal à décider, d'ailleurs. La première vraie génération à ressentir le contre-coup des années glorieuses pour maturer dans les années glorioles. Celle qui assumera le papy-boum. Celle pour qui bosser n'est pas surtout qu'une contingence intrinsèque, qui soit connive, soit permet de s'adonner à l’épanouissement personnel. Un habile mélange d'individualisme et de quête de satisfaction plus ou moins merchandisée. Parce que ça au moins ça n'est pas vendu, c'est éduqué comme une marche inéluctable. L'évolution technique abonde dans le sens. Heureux celui qui est à la pointe. La pointe de tout, surtout si elle embroche des billets. Dans ce marche ou crève, j'ai même fini par adopter la bécane. Ne pas être totalement largué. Déjà on lui a substitué d'autres artefacts de connectivité accéléré, un nouveau bracelet électronique au poignet. C'est cela, il faut aller vite. A grand frais, peu importe le prix du pétrole, la dette du plastique. La vie se connecte, t'en es. Sinon, t'es zappé.

Non, je ne reconnais ni l'époque, ni la génération. Je les noie dans le brouillard pour voir clair.
J'entretiens des brouillards depuis longtemps. Par nécessité. Je les fais évoluer parce que je vieillis. Ils vieillissent, ou pas, avec moi. On adapte, ou on crève. Ils sont une façon d'accepter le monde, de pouvoir le regarder, même en face, malgré la brume. Et dans ce brouillard je marche et je marche. Ce n'est que la distance qui permet de, mais pas de s'aveugler. Marcher de plus en plus loin et augmenter la distance, le recul. Et pourquoi ? Parce qu'à bientôt une moitié de vie, selon ce que laisseront les poumons, je n'ai fait que marcher, sans jamais parvenir à le faire droit. Je m'amuse avec cette image de brouillard depuis quelques semaines, c'était tiède et douillet après les mois d'inconfort. Summum, être capable nommer ce nouveau cap. Ça donne du pouvoir, donner un nom. Puissance du Verbe !
Paradoxalement plus je marche plus je vois, même si la balade répète, là où on dirait qu'il n'y a (plus) rien à voir. « Elle est ennuyeuse, la solitude. Il n'y a rien voir car rien ne bouge. » Les images n'y sont pas les mêmes. Le mouvement n'adopte pas la même vitesse. Il n'est pas question là de zapper

Je me suis aperçu que je marche depuis des années. Je marchais déjà avant les chasses de Mammouth, son dégraissage raté et après et ensuite je n'ai fait que ça. Je dois avoir quelques tours du monde délébiles sous les pieds, à l'image des empreintes que j'ai laissées. Que je laisserai, aussi. Et plus je marche et je croise, parce que forcément je croise, et pire, je vois, plus je trouve mon compte là où il n'y a ni génération ni X ni Y ni zap ni Z ni série. Que les épisodes des pas qui s’enchaînent sans coupures pub que celles que des générations de crétins s'acharnent à amonceler sur les bas côtés de leur air « j'étais ici, s'est mon pack de bière ma bouteille de Jack Daniel's ma boite à pizza mon sommier à latte ». Et ils lattent une terre qu'ils ne sont plus capable de regarder, ni même de faire le rapport un pied de houblon et la canette qu'ils passent par la fenêtre. Le monde est beau, pas trop longtemps, à travers une fenêtre. Et on me pointerait parce que je cultive des brouillards ?

Je me suis aperçu que j'aurai beau marcher, j'irai jamais assez loin qu'il le faut pour éviter tous ces yeux nauséabonds. Que tu peux leur causer avec plein de mots, leur richesse ne se trouve pas dans le vocabulaire mais dans le palpable. Ça ne se saisit pas, un mot. Ça ne se touche pas, à peine si ça touche et encore p'tit con c'est de l'affection connard c'est de l'amical. Puissance du Verbe... Ce que toi tu possèdes ils l'envient et cherchent un moyen de l'obtenir. Tu deviens un rival un obstacle une violence ouverte à leur dénuement. Et la destination de leur propre violence. Ou ils ne le comprennent pas se méfient ont peur finissent par haïr. Tu deviens un embarras un danger une violence insultant leur confort assis semi-allongé. Et la destination de leur propre violence. Tu la sens ? Elle t'accompagne une habitude même plus un rituel, il n'y a pas de sacré, plus qu'un culte.

Nous consommons des produits finis sans plus nous interroger sur le pourquoi du comment de la provenance ce que ça coûte de sueur de terre et de poussière d'hommes comme un dû à la monnaie, tant qu'on en a ou que ça en rapporte. La nouvelle psalmodie combien ça coûte plutôt que comment ça coûte. Parce que la main droite tient sa bourse toujours moins lourde que ses bourses et que la main gauche zappe pour que ça aille vite. Faut rester connecter. Nous sommes de là des produits finis.
C'est lorsque que tout est coupé que je le suis. De la voûte plantaire de l'épine dorsale des réseaux synaptiques. J'en arriverai peut-être pas à faire mon beurre faucher mon blé planter mon tabac, je suis d'une génération X ou Y ou un truc comme ça. Je me console en en ayant goûté les saveurs, les vraies, je veux dire, et ses sueurs. Il n'y a rien à léguer au monde, on s'arrange déjà avec le legs du monde lui-même. On sur-invente juste et le relègue en poubelle. Le brouillard est un tri dans lequel creuser un sillon. Son propre sillon, comme une ombre qui passe et qu'on oublie dans la rétine d'un autre. Dans lequel il peut se prendre les pieds.
Un sillon par une marche comme culture récolte transformation. Et profite et partage. Et profit peu, de quoi les prochains semis à valeurs ajoutés hors taxes. Car sais comment coûte plus que combien. Je marche pour n'être pas un produit fini. Je marche comme écrire suer évacuer cette indicible nausée qui me poursuis depuis l'âge des Mammouths.

 extrait d'un travail (?) en cours

 


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